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L’érable, pour une vision de conservation et de développement

15/04/2021

Écrit par Jean-Étienne Poirier
Anthropologue/acériculteur et producteur de contenus

Grâce à Forêt Vive, la petite entreprise agroforestière que j’ai créée pour initier mes trois enfants au travail et à l’entreprenariat, je fréquente les artisans de La Souche à Stoneham depuis leurs premiers jours dans la région. Ma famille récolte chaque année pour la microbrasserie quelques centaines de kilos de pousses d’épinette et de sapin baumier, des cerises à grappes et différentes fleurs telles que le pissenlit, la monarde, l’épilobe et la verge d’or. C’est avec ces produits sauvages que les artisans de La Souche donnent une personnalité très locale à certaines de leurs bières. 


J’apprécie particulièrement ce lien avec les gens de la microbrasserie; ça me permet de discuter avec les brasseurs et d’apprendre puisque je brasse moi-même de petits lots de bière avec mon propre houblon. Ça me permet également de répondre aux questions des gens du service et des cuisines qui ne manquent pas de m’interroger lorsqu’ils me voient débarquer avec mes livraisons colorées de récoltes sauvages. À tout coup, c’est l’occasion de parler du milieu de vie exceptionnel qui est le nôtre à Stoneham-et-Tewkesbury, un territoire qui a tous les atouts pour devenir un univers agroforestier très productif. Une des ressources les plus abondantes et inexploitées de notre MRC est d’ailleurs un ingrédient que l’on retrouve dans plusieurs bières de La Souche : c’est le sirop d’érable.

Lorsqu’on pense à la MRC de La Jacques-Cartier, on ne pense pas spontanément aux produits de l’érable. Une fois le bois de chauffage et de sciage débusqué pendant l’hiver, les ancêtres ont jugé qu’il n’était pas payant de risquer la vie de leurs chevaux dans des chemins de montagne devenus glacés au printemps afin de courir l’eau d’érable à la chaudière. Il faut bûcheronner encore aujourd’hui dans la région pour savoir qu’il faut avoir à la fois les compétences du forestier et de l’alpiniste pour faire du bois dans nos montagnes. La région ne s’est donc jamais vraiment (encore) tournée sérieusement vers la mise en récolte de ses érablières. Et pourtant, on compte aujourd’hui tout près de 2 millions d’entailles disponibles dans la MRC de La Jacques-Cartier. De ce nombre, 480 000 se retrouvent dans la municipalité où s’est installée La Souche : Stoneham-et-Tewkesbury. Ce n’est pas simplement la chance de faire du sirop d’érable qui nous sourit, c’est la possibilité d’en faire vraiment beaucoup et de bâtir tout un nouveau secteur économique en forte croissance qui s’inscrirait dans la cohérence avec le secteur touristique qui est florissant chez nous.

Des retombées significatives
S’il fallait que le potentiel soit réalisé, c’est 4% du nombre d’entailles de toute la province qui produiraient dans notre coin de pays.  Il faut savoir que c’est 800 millions de dollars qui découlent de l’activité économique associée à l’acériculture et qui sont générés chaque année (contribution au PIB canadien). Lorsque le secteur aurait atteint chez nous sa pleine maturité, ce serait donc quelque chose comme 32 millions de dollars de retombés économiques qui pourraient ultimement être espérées pour la région, une région qui est située juste au nord de la ville de Québec, première destination touristique canadienne et 18e destination touristique dans le monde. Ce n’est pas rêver que de penser qu’on pourrait arriver à tirer notre épingle du jeu…

Et quand bien même on n’arriverait qu’à développer le quart de tout le potentiel de la MRC (Stoneham-et-Tewkesbury possède sur son territoire ce quart du potentiel régional), on parlerait, et ce n’est pas rien, de retombées de 8 millions de dollars, annuellement. Ce que ça prend maintenant, c’est une vision. Et la microbrasserie La Souche, guidée par l’esprit d’aventure de ses dirigeants, vient d’ouvrir une voie prometteuse qui permet, je le crois, d’imaginer comment cette vision pourrait prendre forme.

La contrainte, source de créativité
Au-delà de l’obstacle des dénivelés qui est en bonne partie levé avec les nouvelles technologies de récolte et du fait qu’on ait remplacé les chevaux par des vtt munis de chenilles efficaces, il y a toujours un pépin, une petite roche dans la botte qui semble vouloir nous empêcher de nous permettre de prendre notre élan : c’est la quasi-absence de quotas dans notre région (moins de 100 000 entailles dans la MRC). Les quotas, c’est ce qui permet de vendre le sirop en vrac de manière garantie à la Fédération des Producteurs et Productrices Acéricoles du Québec ou de revendre à d’autres commerçants afin d’écouler sa production au détail, dans les restaurants, les dépanneurs et les épiceries. Sans quotas, tout doit être écoulé en vente directe par l’entreprise qui produit le sirop (en format de moins de 5 litres) sur le lieu de la production, dans un marché public ou par commerce électronique. 

Vendre à l’avance une production en vrac, ça peut sembler alléchant. Mais vendre à l’avance une production en vrac à un prix déterminé, c’est aussi un frein au développement du sens des affaires et la perte de débouchés beaucoup plus profitables que le vrac lorsqu’on est à proximité de la première destination touristique canadienne. Il faut savoir que le litre de sirop d’érable vendu au vrac à un peu moins de 5$ le litre peut rapporter, par exemple, s’il est transformé en meringues à l’érable, la somme de 180$ le litre. Je connais bien les chiffres, ma famille a fait les marchés sur une période de quatre ans afin de valider la profitabilité de la vente directe de produits artisanaux de l’érable. Le caramel mou à l’érable, c’est payant? Le prix du foie gras! Sans la gestion des canards, leur gavage, leur abattage et sans les débats sociaux qui s’ensuivent. Bien sûr, ça prend des emballages appropriés, des marques qui vibrent avec les réalités de la région, bref, il faut présenter l’érable pour ce qu’il est : un produit avec lequel bien sûr on peut cuisiner tous les jours, mais aussi comme un incroyable produit du terroir qu’il est possible d’offrir en cadeau de la plus belle des manières.

La Souche, en construisant une sucrerie adjacente à la microbrasserie, vient de faire la démonstration qu’il est possible de devenir producteur de sirop d’érable sans même posséder une forêt. Au-delà des quelques érables qui constituent le boisé derrière le commerce, les 1000 entailles mises en récolte pour le projet sont pour la plupart louées à un propriétaire de la municipalité. La Souche est propriétaire d’un bail de location, elle bouille et emballe le sirop dans ses propres installations et elle peut ainsi vendre ce sirop en toute légalité dans sa boutique sous toutes ses formes (en format de moins de 5 litres), sans quota, avec son image de marque et sans payer aucun intermédiaire. En plus, comme il s’agit d’un produit fermier vendu sur le site de production, on peut le vendre sans taxes. Ça a beaucoup de sens dans une municipalité où les nombreux touristes qui affluent repartent actuellement avec du sirop d’érable provenant d’autres régions du Québec où l’on dispose de quotas.


Il serait possible, en utilisant la cabane à sucre actuelle de la microbrasserie, de bouillir l’eau de plusieurs milliers d’entailles avec les équipements modernes qui sont aujourd’hui disponibles. Et du sirop, un commerce comme La Souche peut en écouler énormément. Je suis bien curieux de voir jusqu’où ce projet ira, qui sait? Mais peu importe que La Souche fasse de sa sucrerie un à-côté sympathique ou un véritable centre de bouillage capable de générer des revenus importants, l’entreprise aura ouvert un sentier, une voie que d’autres peuvent maintenant emprunter pour développer une économie qui colle aux valeurs et aux enjeux de notre époque. Parce qu’une érablière mise en récolte, c’est plus que des revenus, c’est une forêt que des gens veulent du coup préserver dans toute sa diversité écologique pour assurer la santé des érables et pérenniser la production du sirop. Comme aime à le rappeler le biologiste Stéphane Guay, spécialiste de l’érable, on parle d’un produit vraiment écologique lorsqu’on pense que pour produire du sucre avec de la betterave, du maïs, de la canne à sucre ou de l’agave, on doit commencer par raser la forêt et en faire un site de monoculture.

Des citoyens corporatifs comme la microbrasserie La Souche, j’en prendrais encore quelques-uns, question de bâtir une masse critique et de redonner à un ancien slogan de la municipalité – Naturellement différent! – tout le sens que l’on cherche à se redonner aujourd’hui dans notre rapport à l’environnement, mais aussi, plus largement, à l’ensemble de nos vies.

Par Jean-Étienne Poirier
Anthropologue/acériculteur et producteur de contenus pour le site internet legoutduterritoire.com
info@legoutduterritoire.com

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